Le soucis du geste. Jour après jour et mois après mois, le calendrier perpétuel Bilancia (balance), invite à juger par nous-mêmes du poids des ans. Par un jeu d’équilibres et de déséquilibres visuels à mesure que les réglettes sont déplacées, il se rapproche des balances dites romaines : un bras, un curseur et un poids, ici celui écrasant de la perpétuité. Lourd de sens mais au dessin délicat où rien n’est de trop, l’objet se révèle d’une grande légèreté. Le calendrier perpétuel propose un temps sans trace, oublieux, quand l’éphéméride le détruit et l’agenda le conserve. La rigidité des baguettes de la Bilancia cache une parfaite souplesse chronologique, le temps devenu subjectif (je fais la démarche ? ou non ? de le tenir à jour) s’accommode au paresseux, au figé, au traînard, à l’empressé. Place est laissée au choix, à la promesse apaisante d’une certaine maîtrise. Aussi son égrainage rassurant évoque-t-il celui des komboloï grecs, chapelets laïcs pour faire passer le temps, petits meubles de poche journellement dégainés.
Pas de tiédeur pourtant dans ce mariage oxymorique de la pesanteur et de la légèreté, et l’audace d’un tel objet talonne en réalité sa délicatesse.
En valorisant la retenue il va à l’encontre des rythmes actuels où, dans une économie de l’urgence et de la compétition, la précipitation prévaut. Ce droit à l’hésitation comme réponse esthétique à notre monde qui se hâte était et reste un geste fort. D’autant plus à la veille des années soixante, en pleines Trentes Glorieuses. Avec Bilancia Enzo Mari a peut-être finalement près de trente ans d’avance sur le SLOW movement, d’ailleurs né en Italie avec SLOWfood et dont l’idée se propage aujourd’hui au monde entier et à tous les domaines (style de vie, urbanisme, déplacements, design…). L’échelle de temps du calendrier caresse alors une nouvelle échelle de valeurs : lenteur, application, écologie (ni pile, ni papier) enfin et surtout durabilité, quitte à sacrifier un peu de la fonctionnalité de l’objet à l’élégance des choses éternelles. Pas aisé en effet pour qui est entouré de technologie numérique, de gérer ce temps enchaîné au geste. Tandis que pour nous en faire gagner la technologie fait disparaître peu à peu les tâches quotidiennes, Bilancia offre au contraire une nouvelle sensualité au temps, contact de l’objet et de la main, toucher lisse, vue d’un mécanisme que la simplicité a mis à nu. Le geste, parce que mis en péril, est précieux. Il est la valeur ajoutée à l’objet, ce qui l’embellit voire nous embellit nous-mêmes qui l’accomplissons. Conscients de sa valeur, l’effort que nous portons d’un jour à l’autre à ce rite de passage nous place sur le fil du plaisir et de l’astreinte. Vécu comme une ascèse, sacralisé, le moment nous appartient autant que nous nous y dévouons. Peut-être est-il à rechercher, campée dans ces soupçons de contraintes complices, la joie du geste pour lui-même et de l’effort prudent.